top of page

Mrs Hemingway- Naomi Wood


“ A Paris, sa beauté est sur toutes les lèvres ; elle lui garantit une telle impunité que c'en est choquant. Même leurs amis hommes sont en extase devant son physique, et lui portent plus d'affection que les serveuses. D'autres devinent son caractère versatile : doux par instants, impétueux à d'autres [...] Ils sont aussi quelques uns, parmi leurs amis proches - Scott est de ceux-là -, à se sentir intimidés par lui. Qu'ils soient plus âgés et plus connus ne semble rien y changer. Il les met mal à l'aise. Avec les femmes, les choses sont plus simples - elles se retournent sur son passage et le regardent s'éloigner en se tordant le cou jusqu'à ce qu'il ait disparu. ”



*


Comment rendre vivant un monument de la littérature nord-américaine ? Vous connaissez peut-être le proverbe "Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es". Pour brosser un portrait à contre-courant de l'un des écrivains les plus célèbres des Etats-Unis, Naomi Wood vogue sur une variante de ce dicton : "Dites-moi qui Ernest Hemingway a épousé, je vous dirai qui il est".


En s’immisçant dans des fragments de vie des quatre femmes qui ont successivement porté officiellement le nom de Mrs Hemingway, Naomi Wood nous emmène dans les coulisses tourmentés du destin du grand Ernest. Derrière la légende, l'homme. Derrière la plume, le séducteur. Derrière le mari, l'infidèle. Moi qui ne connaissais finalement pas grand chose de lui, j'ai été surprise de découvrir son caractère complexe – à la fois charmeur et cruel, épicurien et alcoolique, travailleur et dépressif, perfectionniste et opportuniste. Bourreau des cœurs et bourreau de travail.


Mais plus encore, j'ai été touchée par le choix de porter notre attention sur les femmes qui ont gravité autour de ce mythe de la littérature. En cette journée internationale des droits des femmes, je ne peux m'empêcher de ressasser la question de la place des femmes dans la littérature, et plus largement, dans l'Histoire. Combien sont-elles à avoir été définies comme "femmes de" ?


“ Combien de femmes encore, assises devant leur machine à écrire quelque part dans le Midwest, occupées à lire un livre de Hemingway sur leur belle pelouse anglaise, ou missionnées en Chine, ignorent qu'un jour elles seront arrachées à l'ombre pour devenir la prochaine Mrs Hemingway ? ”


Hadley, Fife, Martha et Mary. Des noms qui ne vous disent peut-être rien mais à qui Ernest Hemingway devait beaucoup, ce qui se devine à travers ses dédicaces sur lesquelles on s'arrête rarement. Son premier roman, Le Soleil se lève aussi est dédié à sa première femme, Hadley Richardson. L'Adieu aux armes, à l'oncle de sa deuxième épouse, Pauline Pfeiffer. Pour qui sonne le glas, à Martha Gellhorn, sa troisième compagne. Quant à Mary Welsh, sa veuve, c'est à elle qu'on doit la publication des vignettes très célèbres de Paris est une fête.


Par le biais de la fiction, Naomi Wood leur accorde une voix, qui s'éloigne peut-être parfois de la réalité mais qui a le mérite d'exister. J'ai particulièrement apprécié le choix de l'autrice de jouer avec le labyrinthe du temps. Sur la base de quatre tableaux principaux – Antibes en 1926, la Floride en 1938, Paris en août 1944 et l'Idaho en 1961 –, on navigue entre le passé, le présent et le futur de tous les protagonistes. Ces entourloupes à la linéarité chronologique apportent un vent de fraîcheur à ce qui aurait pu être un agglutinement de faits biographique. Même si le style de l'autrice reste assez impersonnel, j'ai été subjuguée par sa maîtrise de la temporalité et la finesse de la construction du récit.


Mrs Hemingway m'a donné envie de me replonger dans Paris est une fête, que je relirai sûrement différemment. Et dans la même veine, je vous conseille la lecture de Derniers Feux sur Sunset, de Stewart O'Nan qui se penche sur un couple d'amis d'Ernest Hemingway et dont le nom vous dira sans doute quelque chose : les Fitzgerald...


 

Mrs Hemingway, de Naomi Wood, collection Folio (352 pages, 8 €)

Merci aux équipes Folio pour l'envoi du livre !

bottom of page