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Mer blanche - Roy Jacobsen


“Cela avait été l'été le plus pluvieux de mémoire d'homme. Mais, à la fin août, une chaleur étouffante était tombée sur la terre et sur l'eau, capable d'amollir les pensées et de troubler la vue. De la vapeur flottait sur les champs noirs, les oiseaux se taisaient, le paysage laissait échapper des soupirs inaudibles et la mer était lisse comme un plancher que l'on vient de repeindre.”

Après l’avoir découverte dans Les Invisibles (mon coup de cœur en 2017), retour sur l’île de Barroy avec Mer Blanche, le dernier roman de Roy Jacobsen. Retour sur ce petit bout de terre norvégienne, hors du temps, hanté de souvenirs de vies à l’abri du monde effréné des hommes. Mais une île peut-elle rester coupée du temps et du monde lorsque les échos de la seconde guerre mondiale viennent s’échouer sur ses rivages ?

C’est la problématique qui va désormais tisser la vie d’Ingrid, que l’on avait rencontrée à l’âge de trois ans dans Les Invisibles et qui, devenue adulte, doit se déchirer entre son attachement à sa terre familiale et l’obligation de renouer avec le continent. Impossible de faire fi du navire allemand qui a coulé près des côtes de Barroy, d’autant plus qu’il recrache des prisonniers russes sur ses plages. Et impossible d’ignorer les avions qui les survolent.

“Ingrid commence à oser, ce qui veut dire aussi abandonner certaines choses.”

Si le premier tome contait la douce rugosité d’une vie en symbiose avec la nature au gré des saisons, Mer Blanche rompt avec ce chaleureux isolement qui faisait toute la magie des Invisibles. La guerre frappe, l’Histoire rattrape, le temps s’échappe. Ce point de vue original sur la seconde guerre mondiale permet paradoxalement un certain éloge du temps qui coule et qui se fond merveilleusement avec le champ sémantique de la mer, qui, à l’image du corps de l’île, n’apparaît jamais comme une ennemie.

Hélas, cette suite est un peu moins digeste que les aventures initiales de la famille Barroy. Ma lecture a été contrariée par le choix de l’auteur de séparer ses phrases par de nombreuses virgules plutôt que par des points. La maîtrise des ellipses et d’un style laconique est incontestable, mais elle sied moins à cet épisode qu’au récit originel d’une vie à l’écart du monde. La spontanéité, le naturel et le bon sens d’Ingrid charment, mais les autres multiples personnages paraissent fantomatiques, ce qui rend presque insaisissable l’essence de l’histoire. Par ailleurs, j’ai été gênée par les passages récurrents avec des phrases en allemand non traduites, quand bien-même elles sont comprises par tous les protagonistes.

Mais cette déception n’altère en rien mon coup de cœur pour Les Invisibles, cela me donne une nouvelle occasion de vous recommander chaudement la lecture de ce petit trésor de la littérature norvégienne !

Mer Blanche, de Roy Jacobsen aux éditions Gallimard (21 €, 272 pages)

Un grand merci aux éditions Gallimard pour l’envoi du livre !

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