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Les Tribulations d'une cuisinière anglaise - Margaret Powell


"Comme la plupart des repas, leur petit déjeuner n'avait rien à voir avec le nôtre. Nous, Mrs Clydesdale trouvait qu'il fallait juste nous nourrir, alors on mangeait du hareng, de la morue, du ragoût et des crèmes au lait, mais rien de tout ça n'atterrissait jamais sur leur table à eux. J'en déduisais que même leurs organes n'étaient pas faits comme les nôtres, puisque ce qui était nourrissant pour nous n'était pas bon pour eux."

Y a-t-il des fans de Downton Abbey par ici ? Si oui, petit conseil d'amie : laissez-vous tenter par Les tribulations d'une cuisinière anglaise ! Non seulement ce livre a inspiré les scénaristes de la série télévisée, mais il s'agit surtout d'une histoire vraie, celle de Margaret Powell. Née en 1907 dans une famille pauvre d'Angleterre, celle-ci rêvait de devenir institutrice. Passionnée de littérature (ce qui surprendra ses futurs employeurs, bien loin d'imaginer qu'une domestique pouvait lire et même — diantre ! — aimer cela), Margaret truffera d'ailleurs ses mémoires de références classiques que petits et grands lecteurs apprécieront (Dickens, Andersen, etc.). Obligée de dévier de cette ambition professionnelle, elle "entre en condition" et devient fille de cuisine dans l'espoir de devenir un jour cuisinière, une des fonctions les mieux considérées parmi les domestiques à cette époque.

Si non seulement la tâche n'est pas aisée par l'absence des moyens techniques d'aujourd'hui (pas de cuisinière, mais des fourneaux ; pas de réfrigérateur mais une glacière), il incombe également à Margaret d'effectuer un tas de corvées aussi fatigantes qu'aberrantes (repasser les lacets de ses patrons, par exemple). Sans oublier l'attitude dénigrante de ses employeurs — désignées par le mot "Eux" tout au long du livre — vis-à-vis du monde d'en bas, celui des domestiques confinés aux sous-sols.

"Dans Adelaide Crescent les maisons étaient immenses. Pour aller du sous-sol au grenier il y avait bien cent trente marches, et les sous-sols étaient sombres comme des cachots. La partie qui donnait sur la rue, là où il y avait des barreaux aux fenêtres, c'était la salle des domestiques. Quand on était assis dans cette pièce, tout ce qu'on voyait c'étaient les jambes des passants, et quand on était de l'autre côté, c'est-à-dire dans la cuisine, on ne voyait rien du tout à cause d'un jardin d'hiver en saillie juste au-dessus. Il y avait une minuscule fenêtre en haut du mur, mais pour voir dehors on devait grimper sur une échelle."

Cet univers bien sombre n'empêche pas le livre de transpirer de bonne humeur et de joie de vivre. Dans un style familier voire oral, Margaret Powell nous confie ses réflexions sur les inégalités sociales qu'elle a constatées et subies. Impossible d'oublier l'anecdote du tableau d'argent, sur lequel elle doit nécessairement poser un objet lorsqu'elle souhaite le passer à ses maîtres (jamais directement à la main) ! Les tribulations d'une cuisinière anglaise constituent un passionnant et sincère témoignage sur les coulisses des grandes maisons anglaises dans la première moitié du XXème siècle. Des flirts avec les garçons de courses aux rivalités entre la nursery et les cuisinières, le fonctionnement de ces grandes demeures n'aura plus de secrets pour vous !

Petit bonus pour les fans de Downton Abbey, la liste des 10 romans à lire si les aristocrates de cette série vous manquent, publiée par le figaro (bien sûr, le livre dont il est question dans cette chronique est dedans !) : c'est par ici !

"Même si on se disputait souvent entre nous, face à ceux d'en haut on se serrait toujours les coudes. On les appelait toujours "Eux". "Eux", c'était l'ennemi. C'étaient "Eux" qui nous donnaient trop de travail, "Eux" qui ne nous payaient pas assez, et pour "Eux" les domestiques étaient une race à part, un mal nécessaire."


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