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Les Exilés meurent aussi d'amour, Abnousse Shalmani


"C'est quelque chose, l'exil : une claque qui vous déstabilise à jamais. C'est l'impossibilité de tenir sur ses deux pieds, il y en a toujours un qui se dérobe comme s'il continuait de vivre au rythme du pays perdu."

Pas facile d'être une petite fille iranienne exilée en France. Encore moins facile lorsqu'on appartient à une famille composée de personnalités plus ou moins bien intentionnées : trois tantes égocentriques (Mitra, l'aînée autoritaire ; Zizi, l'artiste opiomane ; Tala, l'électron libre), une mère qui lit l'avenir dans le marc de café et qui s'écrase devant le nombrilisme de ses sœurs, un grand-père pas très net et un père qui a déposé les armes face à un entourage communiste endurci.

Au lendemain de la révolution islamique d'Iran, dans le Paris des années 80, l'histoire de la famille Hedayat nous est contée à travers le regard de Shirin qui, à l'âge de neuf ans, voit s'ébrécher ses illusions et sa naïveté d'enfant. Sur un ton malicieux et incisif, elle s'interroge sur ce monde d'adultes déracinés. De Téhéran à Paris, on voyage avec elle entre un avant et un après, entre un ici et un ailleurs, dans une nouvelle vie dans laquelle elle doit tout (ré)apprendre sans nécessairement pouvoir compter sur le soutien de ses proches : son rapport au corps, aux autres, à l'Histoire, à l'art et à la littérature.

"La langue française se métamorphosait en une baguette magique pour combattre le réel et sauver ce qui restait de l'enchantement de l'enfance. Comme ma mère le faisait avec les vieux meubles cassés, je transformais la réalité devenue si laide, je la sublimais par les nouveaux mots que je découvrais chaque jour dans le dictionnaire, qui devint mon laboratoire à moi."

Au rythme de fêtes iraniennes (Shabe Yalda, le solstice d'hiver ; Norouz, le nouvel an), une petite fille devient femme sous nos yeux et nous embarque dans ses réflexions sur les conséquences de l'exil, sur les relations familiales, sur un passé qui peut engluer les générations à venir. Au passage, la figure du révolutionnaire, souvent idéalisée, fantasmée, et romancée prend un sacré coup dans la figure.

"Un homme prend de l'âge, et ses cheveux blanchissent, et son ardeur faiblit, et sa situation se dégrade, et tout ce qu'il a accompli de mauvais ou criminel est oublié, rangé dans des tiroirs, l'affaire est classée : regardez donc cet homme pas encore vieux mais déjà sage. Foutaises. Un salaud reste un salaud, quel que soit l'état de sa prostate."

J'ai eu un vrai coup de cœur pour la plume d'Abnousse Shalmani, moderne et mordante (et c'est pour cela que cet article est truffé d'extraits de ce roman !). Il y a parfois des livres qui arrivent à parler directement à votre cœur, qui viennent le faire vibrer par leur sensibilité. Les Exilés meurent aussi d'amour fait partie de ceux-là pour moi. J'ai adoré la manière dont sont décortiqués les liens familiaux avec une sorte d'honnêteté sans mièvrerie. La question centrale du récit autour de la possibilité ou non d'échapper à son destin familial n'y est sûrement pas pour rien. Bien qu'à première vue la thématique de l'exil soit au cœur de cet ouvrage, Les Exilés meurent aussi d'amour s'adresse aussi à toutes celles et ceux qui se sentent tourmentés par les fantômes des générations passées.

"La vie a meilleur goût avec un sourire et un corps qui s'épuise à aimer."

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