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Prodigieuses Créatures - Tracy Chevalier


"Lyme avait développé en nous un esprit d'indépendance qui surprenait les Londoniens, plus conservateurs de nature. Nous sortions beaucoup. Nous allions chez des amis, mais aussi au théâtre, à la Royal Academy et, bien sûr, au British Museum [...] J'avais même fait don au musée d'un magnifique spécimen de Dapedium, un poisson fossile que j'affectionnais particulièrement. En remerciement, Charles Konig, le conservateur du Département d'Histoire Naturelle, m'avait accordée l'entrée libre durant le mois de mon séjour. Sur le cartel, le donateur était simplement nommé Philpot, ce qui évitait de préciser mon sexe".

Nom d'un ichtyosaure enfariné, quel plaisir d'automne que de retrouver le charme anglais du XIXème siècle des romans de Jane Austen dans un livre écrit au XXIème siècle ! Signé de la plume fine et limpide de Tracy Chevalier, Prodigieuses créatures embarque le lecteur dans quelques pages méconnues de l'histoire de la paléontologie. Une thématique originale, vous en conviendrez, qui permet à l'auteur de revenir sur deux critères qui pouvaient alors déterminer une vie : le sexe et la classe sociale.

A la suite du décès de leurs parents et du mariage de leur frère aîné, trois sœurs sont contraintes de quitter Londres pour venir s'installer sur la côte britannique à Lyme Regis, "un malheureux trou perdu du sud-ouest de l'Angleterre". Condamnée comme ses sœurs à subir un destin de vieille fille, Elizabeth Philpot, 25 ans, se découvre une passion pour les fossiles qu'elle chasse sur la plage. Elle y rencontre Mary Anning, jeune femme issue de la classe ouvrière, déjà habituée à débusquer des "curios" (des "curiosités", en l'espèce des fossiles) pour les vendre aux touristes afin d'éponger les dettes de son père. Après avoir cueilli moult banales ammonites, les deux femmes découvrent un drôle de squelette incrusté dans la roche mais ne peuvent se résoudre à admettre qu'il s'agit d'un crocodile, contrairement aux habitants de Lyme Regis pétris par les principes religieux de l'époque ...

Roman à double-voix alternant le point de vue d'Elizabeth et celui de Mary (deux prénoms de reine !), Prodigieuses créatures se penche sur les épineuses contraintes qui s’appesantissaient sur les épaules des femmes de l'époque : poids de la morale, du qu'en dira-t-on, de la classe sociale, du sexisme et de la religion. En effet, difficile d'affirmer une théorie de l'extinction des espèces lorsque celle-ci reviendrait à admettre que Dieu peut commettre des erreurs ! Du British Museum aux falaises du sud-ouest de l'Angleterre, ce roman conte aussi l'histoire vraie de deux femmes ayant contribué au développement de la paléontologie alors que la valeur d'une femme ne se mesurait à l'époque qu'au mariage qu'elle arrivait à faire.

Si la thématique de l'effacement du rôle des femmes dans l'Histoire m'a particulièrement intéressée, j'ai aussi beaucoup apprécié une caractéristique d'écriture de Tracy Chevalier que j'avais découverte dans La Dernière Fugitive : l'auteur ne trahit pas le tempérament de ses personnages par une pirouette finale rocambolesque pour contenter les attentes romanesques de ses lecteurs. Et, nom d'un stégosaure emplumé, que cela fait du bien de pouvoir admirer des personnages féminins qui ont soif d'indépendance, du début du livre jusqu'à sa toute fin !

"Une vie de femme est toujours un compromis"

Et pour rester dans la même ambiance, ou presque... (Cliquez donc !)

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