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Les Aventures des quatre derviches, Mir Amman


"Échanson, verse-moi du vin de ta coupe transparente, en sorte que tout à coup la joie parvienne à mon cœur. Excite en moi une pensée qui m'enflamme et qui rende ma langue aussi pénétrante que le feu. Par ton moyen, je n'aurai ni peine ni fatigue, et une ancienne verve animera mon jeune corps. Fortifié par elle, ce récit merveilleux couvrira de honte la tour de Babel."

Parfois, j'aime bien me perdre dans les pages d'un "vieux" livre, quasiment juste pour me délecter des mots, de la cadence des phrases, des formules d'un ancien temps. Un voyage dans le temps pour refaire vibrer ma fibre littéraire en quelque sorte.

Ainsi, dans la tradition littéraire indo-musulmane du XIVème siècle, ne le prenez pas mal si on vous dit que vous avez une démarche de perdrix, une taille de cyprès ou que vous faites honte à la lune (ou au soleil). Au contraire, c'est un bouquet de compliments !

La version des aventures des quatre derviches présentée par les éditions Libretto est celle remaniée et adaptée en ourdou (langue des indo-musulmans qui puise dans l'arabe, le persan et l'hindi ; langue officielle du Pakistan) en 1803 par un érudit nommé Mir Amman, dont on ne sait malheureusement rien. Proche de la structure des contes des Mille et Une Nuits, cette oeuvre débute sur la rencontre de cinq personnages "affligés de cœur et malheureux" : le roi Azâd-bakht, désespéré de ne pas avoir d'héritier pour assurer sa succession, et quatre derviches (vous ne vous y attendiez-pas pas du tout avec un pareil titre, n'est-ce pas ?), se retrouvant au même endroit après des péripéties amoureuses.

"Quand vous cinq serez réunis, ton désir sera accompli, et vous tous, par la grâce de Dieu, vous parviendrez à votre but."

Sauf qu'avant d'arriver à ce dénouement, je suis au regret de vous annoncer que vous allez devoir vous coltiner une série de récits enchâssés (un personnage qui raconte une histoire dans laquelle un personnage raconte une autre histoire, etc.) ayant peu d'intérêt. Je veux dire par là que la lecture des cinquante premières pages suffit amplement à saisir le plaisir des mots que j'évoquais en début d'article. Le contenu de chaque histoire est assez similaire : un homme tombe amoureux d'une jeune femme mais de vils personnages l'empêchent d'atteindre le bonheur conjugal. Et croyez-moi, le désespoir amoureux est à chaque fois digne d'une rupture dans un épisode des feux de l'amour : "Marchant jour et nuit plein de trouble, l'esprit agité, le cœur piqué d'épines, très troublé, je parcourus le palais et la forteresse et cependant je ne trouvai pas cette perle dans l'écrin. J'errai, jetant des cris comme le rossignol amoureux, je restai gémissant comme le renard désolé [...]. La blessure de mon cœur était vive, mais je ne trouvais pas la trace de ce que je cherchais. Je ne trouvais nulle part l'odeur de cette fleur, malgré l'insistance et l'énergie de ma recherche. Mon cœur fut torturé à l'excès, mais je ne trouvai pas dans ma course ce soleil. Ma déconvenue fut certaine, mon cœur brisé fut secoué comme par un tremblement de terre."

Bref, chaque histoire s'apparente à une répétition de la vidéo "Avez-vous déjà vu un mec qui se plaint tout le temps ?", avec un langage fleuri en prime.

Dommage. Le mélange de légendes musulmanes et de croyances indiennes, la réunion de personnages aussi divers que des djins, des fakirs, des fées et des sirènes, les déambulations à travers la Grèce, l'Inde, l'Angleterre, la Chine, l'Azerbaïdjan, auraient pu concourir à une merveilleuse compilation de contes orientaux.

Et pour rester dans la même ambiance, ou presque... (Cliquez donc !)


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