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Les Piliers de la terre, Ken Follett


Il semblerait que débuter une saga historique se déroulant au Moyen-Age par une malédiction soit un must en la matière. Non pas que j'ai lu beaucoup de sagas du genre, mais je n'ai pas pu m'empêcher de faire ce rapprochement entre Les Rois Maudits, de Maurice Druon, et Les Piliers de la terre, de Ken Follett. Vous souhaitez débuter l'écriture d'un tel roman ? Prenez un bûcher ou une potence, un personnage déchu, condamné, de nobles spectateurs, une malédiction bien piquante, et le tour est joué. Jugez-en plutôt par vous-même :

  • Les Rois Maudits : "Le bûcher avait été dressé de manière à faire face à la loggia royale de la tour de l'Eau [...] Les aides-bourreaux couraient en se bousculant puisant dans la réserve de bûches et attisant le foyer avec de longs crocs de fer [...] Puis, soudain, il y eut un effondrement du brasier et, ravivées, les flammes bondirent devant le condamné [...] Et tout à coup, la voix du grand-maître s'éleva à travers le rideau de feu et, comme si elle se fût adressée à chacun, atteignit chacun en plein visage [...] "Honte ! Honte : Vous voyez des innocents qui meurent. Honte sur vous tous ! Dieu vous jugera [...] Pape Clément !... Chevalier Guillaume !... Roi Philippe !... Avant un an, je vous cite à paraître au tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste châtiment ! Maudits ! Maudits ! Tous maudits jusqu'à la treizième génération de vos races !..." "

  • Les piliers de la terre : "Le reste de la ville se groupa autour de l'échafaud [...] La corde se tendit et le cou du voleur se brisa avec un bruit sec. Il y eut un hurlement et tous les regards se tournèrent vers la fille [...] Celle-ci à genoux devant la potence, les bras tendus devant elle, avait la position qu'on prend pour lancer une malédiction [...] La fille tourna ses yeux dorés au regard hypnotique vers les trois étrangers, le chevalier, le moine et le prêtre, lançant les mots terribles d'une voix claire : "Je vous maudis par la maladie et le chagrin, par la faim, et la douleur ; votre maison sera consumée par le feu et vos enfants périront sur l'échafaud ; vos ennemis prospéreront et vous vieillirez dans la tristesse et le regret pour mourir dans l'horreur et l'angoisse ..." "

Et hop, vous avez votre fil rouge : la malédiction se réalisera-t-elle ou non ?

L'amie qui m'a prêté Les Piliers de la terre m'avait lancé une autre sorte de prophétie : "Tu verras, quand tu commenceras ce livre, tu ne pourras plus le lâcher". Il vaut mieux que ce soit le cas quand on attaque une brique de plus de 1000 pages.

Alors certes, toute l'imagerie du Moyen-Age s'offre à vous à la lecture de ce roman : sièges de châteaux forts, poids de la religion faisant planer la crainte du jugement dernier et de l'enfer, foires mêlant montreurs d'ours et combats de coqs, forêts cachant sorcières et brigands de grand chemin... Avec un point fort, un personnage à part entière : une cathédrale en construction (soit dit en passant, un sujet propice aux relents de cours d'histoire-géo de classe de cinquième sur la distinction entre l'art roman et l'art gothique).

"Si le prieur acceptait le projet, Tom devrait bien sûr le redessiner avec plus de soin et exactement à l'échelle. Et il y aurait encore bien des croquis, des centaines : les plinthes, les colonnes, les chapiteaux, les encorbellements, les chambranles, les clochetons, les escaliers, les gargouilles et d'innombrables autres détails : Tom travaillerait pendant des années. Mais il avait déjà devant lui l'essence du bâtiment. Et elle était bonne : simple, peu coûteuse, élégante et parfaitement proportionnée."

Et certes, on ne peut qu'admirer le travail de recherche qu'a dû réaliser l'auteur avant d'entreprendre la rédaction d'un tel pavé. Mais le charme n'a pas opéré sur moi. La vision du Moyen-Age m'a semblé beaucoup trop manichéenne : les bons d'un côté, les méchants de l'autre, et pas d'entre-deux. Même si on glisse avec fluidité d'un personnage à un autre, tous leurs comportements sont ultra-prévisibles. On les suit un peu pour les mêmes raisons qu'on s'abonne au compte Instagram de Taylor Swift : sans y être attaché·e, on est curieux du déroulement de leurs vies.

Une autre composante de ce roman m'a fortement déplu : les scènes de viol. Loin de moi l'idée que le récit devrait être totalement dénué de ce genre de délit, qui devait malheureusement être effectivement perpétré régulièrement à l'époque. C'est le traitement du sujet et la manière de narrer chaque viol, toujours de la même manière, qui m'a heurtée : l'auteur se concentre excessivement sur l'aspect "érotique" de la situation, la cruauté de l'acte n'apparaissant que très peu. Un exemple parmi de nombreux autres :

"Une femme sortit de la maison la plus proche. Elle avait une vingtaine d'années, un joli visage et des boucles brunes. Malgré la famine, on lui devinait une poitrine généreuse et des hanches robustes [...]. [Le regard de William] tomba sur Maggie, qui tenait toujours le plateau avec la dernière chope, son joli visage crispé de peur, ses jeunes seins fermes gonflant sa tunique maculée de farine [...]. Le valet saisit la malheureuse par le col de la tunique et la tira d'un geste sec. Le vêtement en se déchirant tomba sur le sol. Maggie portait dessous une chemise de toile qui lui arrivait aux genoux. Sa respiration haletante de peut souleva ses seins ronds. William se plaça devant elle. Walter lui tordit le bras plus fort : la douleur lui fit cambrer le dos et saillir la poitrine. Les yeux dans ceux de Wulfric, William prit dans ses mains les seins de la jeune femme. Ils étaient doux et lourds [...]. William arracha la camisole de la jeune femme. La gorge sèche, il contempla son corps blanc et sensuel."

Notez à quel point l'auteur insiste sur la description de la poitrine de la jeune femme qui est sur le point d'être violée. Le lecteur voit peu un corps mortifié : il est davantage placé dans la tête du violeur excité. Et ce procédé d'écriture me gêne beaucoup (même s'il est quelque peu contrebalancé par la création de personnages féminins qui ont soif d'indépendance), d'autant qu'il est systématique pour chaque scène de viol décrite dans ce roman.

Un conseil chauvin si vous n'avez jamais lu de saga médiévale : ne vous laissez pas happer par toute la publicité actuelle autour de Ken Follett, et commencez par Les Rois maudits !

Et pour rester dans la même ambiance, ou presque... (Cliquez donc !)

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