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Le Fou du Roi, de Mahi Binebine


Il flotte comme un parfum de jasmin, d'ambre et de miel lorsque l'on lit les premières pages du Fou du roi de Mahi Binebine. Le narrateur nous introduit dans la cour d'un roi marocain - dont on devine l'identité au gré de références historiques parsemant le livre - qu'il est chargé de divertir en tant que bouffon.

Si l'intitulé de la fonction peut faire sourire, voire invite au mépris, elle récupère toute sa noblesse lorsque le doute se dissipe sur l'essence de ce métier : bien plus que simple plaisantin, ce personnage, artisan de la parole, maîtrise à la perfection l'art du récit. Les mots deviennent des armes, la poésie se fait pouvoir :

"Ma proximité avec Sa Majesté me procurait une fierté difficile à dissimuler, ainsi qu'un certain pouvoir dont je mesurais l'amplitude dans le regard luisant de mes rivaux. En effet, j'étais en possession de l'arme la plus redoutable qui soit dans une monarchie absolue : l'oreille du roi."

Hélas, ce talent de Shéhérazade a un prix : tout comme cette dernière, la destinée du bouffon tient à la pleine satisfaction du roi. Cette obsession vitale de capter l'attention du monarque, il doit par ailleurs la partager avec maints courtisans, dont un nain (tiens, ça ne vous rappelle pas un certain Tyrion ? Je serais curieuse de savoir si quelqu'un s'est déjà intéressé de près au lien entre la figure du nain et le pouvoir royal. A bon entendeur ...), un voyant, et un musicien avec qui il partage l'amour de la poésie. Tous oscillent entre dévouement aveugle et crainte de la disgrâce. La cour, et au-delà, le peuple, reste suspendu à l'humeur variable du souverain. Attiré par le pouvoir royal comme un insecte par une lumière mortelle, et bien que conscient de l'absurdité d'une telle dévotion, le bouffon confesse au travers d'anecdotes être véritablement fou de son roi : il ne vit que pour lui, allant même jusqu'à sacrifier sa famille en reniant son propre fils.

"La souplesse d'échine et la génuflexion me répugnaient. La hauteur à laquelle me hissait ma culture n'autorisait pas l'exercice de la courbette et de la sympathie forcée. Et pourtant... on a beau vouloir échapper à son destin, voilà qu'il vous rattrape et, sournoisement, insère votre existence entre les étroites et impitoyables lignes du mektoub."

En filigrane, apparaît le portrait d'un tyran, et c'est là toute la subtilité de la plume de Mahi Binebine (d'ailleurs, je suis preneuse d'avis sur ses autres romans. A bon entendeur (bis)... ). Alors que le récit se pare d'allures de conte oriental bien que sûrement imprégné de touches biographiques (le père de Mahi Binebine a été réellement bouffon du roi pendant 35 ans), l'auteur ancre habilement cette histoire dans la réalité du règne de Hassan II. Je ne suis pas très bonne en histoire marocaine (je suis même globalement une quiche en Histoire tout court), mais certains événements, notamment un coup d'état et l'épisode de la marche verte, permettent d'identifier ce Shahryar des temps modernes. C'est peut-être l'un des rares reproches que je pourrais faire à ce roman : certains aspects peuvent échapper à qui ne connaît pas l'histoire du Maroc.

Mais le plaisir de la lecture est tel que, pour reprendre les mots finement ciselés de l'auteur, on referme ce livre avec la sensation que reste sur le bout de la langue le goût du "thé agrémenté d'une myriade de mots colorés, volubiles". B'ssaha !

Et pour rester dans la même ambiance, ou presque... (cliquez donc !)

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