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Monarques, Sébastien Rutés & Juan Hernandez Luna


Il y a quelques temps, je vous avouais être plutôt quiche en Histoire. Non pas que je trouve cette matière inintéressante, bien au contraire, mais j'ai toujours été sceptique sur la manière dont elle m'a été enseignée. Peut-être ne suis-je pas tombée sur la crème des profs d'histoire-géo, mais, dans mes souvenirs, les heures de cours passaient très lentement et se résumaient bien souvent à l'énumération d'une succession de faits articulés entre eux. Si je voulais faire une envolée lyrique, je vous dirais que l'Histoire ressemblait alors pour moi à un grand tableau sur lequel on ne voyait que les premiers traits de dessin et auquel il manquait cruellement de la couleur. C'est-à-dire qu'au delà des événements qui jalonnent une période définie, j'aurais aimé que mes profs me parlent de tout ce qui faisait la vie des gens de l'époque au delà des aspects politiques : ce qu'ils écoutaient, ce qu'ils lisaient, ce qu'ils regardaient, etc. Après, on pourra me rétorquer que le nombre d'heures de cours ne permet pas de s'épancher sur les états d'âme des populaces des périodes étudiées, mais n'empêche, ça aurait été cent fois plus stimulant pour mon petit cerveau meurtri de frises chronologiques.

Et, bingo, Monarques a su colorer pour moi une période de l'Histoire à laquelle maints élèves n'ont sans doute pas prêté beaucoup d'attention en cours, tant l' intérêt pour cette période devait être moindre par rapport à la dernière idylle formée entre deux camarades de classe, ou par rapport à l'odeur des frites qui remontait de la cantine dans les salles de classe, par exemple. Que celles et ceux capables de me narrer les années relatives au Front populaire en France lèvent le doigt (et me laissent un commentaire, tiens). Pour les autres, et notamment les blasés des cours d'histoire, lisez donc Monarques, roman à quatre mains de Sébastian Rutés et Juan Hernandez Luna. Tout d'abord, ça dépoussiérera vos connaissances sur Léon Blum, Daladier et compagnie ; ensuite, ça vous permettra de recontextualiser la France dans un cadre plus international (notamment vis-à-vis de la montée des fascismes en Europe) ; enfin, et SURTOUT, ça dynamisera votre vision de cette période grâce aux 1001 références glissées dans le récit, qui feront sûrement scintiller l'ampoule de votre cerveau (et qui vous feront dire que, finalement, vous aviez des connaissances sur cette période). Par exemple, côté musique : Joséphine Baker, Mistinguett, Maurice Chevalier, Edith Piaf. Côté cinéma : Les Temps modernes, Marlene Dietrich, Gary Cooper, Clark Gable. Côté littérature : Charles Dickens, Louis Aragon, André Breton. Etc.

Et la lecture de Monarques est d'autant plus délicieuse que la première partie du roman est rédigée sous forme épistolaire : Jules Daumier, jeune coursier parisien au journal L'Humanité ouvre une lettre d'amour adressée à l'ancienne locataire de l'appartement où il réside avec sa mère, signée par Augusto Solis, illustrateur mexicain que Walt Disney tentera d'engager pour l'élaboration du long-métrage animé Blanche-Neige et les sept nains.

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On en vient au morceau croustillant du roman : la fiction tissée autour de ce dessin animé, et qui repose sur des faits réels dont j'ignorais l'existence, et sur lesquels j'ai mené ma petite enquête pour distinguer pour vous, fidèles lectrices et lecteurs, le vrai du faux. Voici donc quelques points de culture générale pour briller en société :

  • Blanche-Neige et les sept nains (conte allemand, à l'origine recueilli par les frères Grimm) était l'un des films préférés d'Hitler, féru de cinéma. D'ailleurs, Roy Disney, frère de Walt, s'était rendu en Allemagne pour assurer la promotion de ce long-métrage auprès de Joseph Goebbels, ministre de la propagande, à qui Hitler adresse fictivement ces propos dans le roman : "La propagande doit être subtile, combien de fois t'ai-je entendu le répéter ? Que verront les millions de spectateurs, pendant des siècles, sans s'en rendre compte ? Nos profondes forêts parcourues par l'âme germanique, nos châteaux impériaux et l'esthétique runique des anciens Teutons passée à la lumière de notre expressionnisme. Ils entendront nos chants, dans lesquels résonne l'écho martial de nos bottes. Ils apprendront nos vieux mythes norois, l'écureuil mythique Ratatosk sur la pendule, les nains du Nidavellir et Blanche-Neige, la vierge nordique, l'immortelle âme aryenne prête à se réveiller Ils apprendront à détester la malfaisante sorcière, dont le nez crochu démontre la judaïté.". Hypothèses troublantes, n'est-ce pas ?

  • Hitler aurait peint trois des sept nains (Simplet, Dormeur et Prof), selon William Hakvaag, directeur norvégien d'un musée sur la seconde guerre mondiale, qui a trouvé ces tableaux signés "A.H." au dos d'une aquarelle peinte par Hitler (cf. images ci-dessus)

  • Plus étrange encore, Blanche-Neige et les sept nains était également une obsession d'Alan Turing, mathématicien britannique considéré comme le fondateur de l'informatique, et qui était à l'opposé d'Hitler puisque c'est à lui qu'on doit le décryptage du code secret nazi généré par la machine Enigma. Homosexuel condamné à la castration chimique, Alan Turing se suicidera en croquant une pomme empoisonnée au cyanure. Le logo d'Apple - une pomme croquée - serait ainsi un hommage au père de l'informatique (une théorie parmi tant d'autres, souvent contestée).

  • Il existe un dessin animé produit par Disney dans lequel on voit Donald (le canard, pas la choucroute présidentielle) répéter "Heil Hitler", intitulé "Der Fuehrer's Face" (en lien sur la vignette en dessous de cet article. Il dure 7 minutes, et ça vaut le coup de le zieuter). N'hurlez pas trop vite au scandale : il s'agit d'une propagande anti-nazie. A noter que Walt Disney est toutefois très controversé : souvent taxé d'anticommuniste, d'antisémite et de raciste, ses positions sur le nazisme ont été fluctuantes. En 1938, il reçoit Leni Riefenstahl, réalisatrice allemande au service de la propagande nazie, ce qui conduit les auteurs de Monarques à imaginer la cinéaste répliquer à Disney le discours suivant, puisqu'en plus de toutes ses merveilleuses qualités (humour) que je viens de vous citer, Walt aurait été un tantinet sexiste : "Voilà donc pour vous la différence entre une femme soumise et une femme libre ? La première fait le ménage parce qu'elle le doit [référence à Blanche-Neige contrainte par sa marâtre de faire le ménage au château], la deuxième parce qu'elle le veut [référence à la princesse lors de son arrivée dans la chaumière des nains]. Je ne sais pas ce que je préfère, vraiment. Mais peu importe, puisqu'au final l'une et l'autre se chargent des tâches ménagères. Le chaudron de la sorcière ou la marmite de la princesse ... une femme ne saurait faire bon usage d'autres ustensiles ?"

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Mais revenons à nos petits moutons velus : le bouquin. Celui-ci est divisé en trois parties aux styles différents. Comme je vous le disais, la première partie, qui est un vrai régal, correspond aux échanges de lettres entre Jules Daumier - le coursier français - et Augusto Solis - l'illustrateur mexicain -. Malheureusement, l'appétit est un peu coupé par le style de la deuxième séquence (narration classique, nécessaire pour dévoiler certaines clés de l'intrigue au lecteur). Le décalage est expliqué à la fin du livre par Sébastien Rutés, qui fait part de la mort prématurée de son ami Juan Hernandez Luna lors de la rédaction du livre. Et, pour le plus grand plaisir des lecteurs, la troisième partie revient au style épistolaire via un échange de mails entre les petits-enfants des personnages principaux. Le roman prend alors une toute autre dimension, amenant une réflexion sur le lien à porter (à subir ? à honorer ? à rechercher ?) avec l'histoire de nos ancêtres. Je vous laisse en compagnie de cet extrait, qui je l'espère, éveillera vos papilles... (...on. Papillon. Monarques. Vous l'avez ? ) :

"Au printemps, les papillons nés au Mexique retournent vers la région des Grands Lacs nord-américains. Ils traversent les Etats-Unis en moins de six mois, soit trois générations. La quatrième naît au Canada au début de l'automne et entreprend le voyage retour vers le Mexique. Cette fois, la migration se fait en une seule génération, dont la durée de vie est de sept mois. Arrivés à destination, les papillons entrent dans une phase d'inactivité tout l'hiver pour se reproduire en mars, avant que le cycle recommence. Les individus qui s'installent en novembre dans les forêts du Michoacan sont donc les arrières-petits-enfants de ceux qui les ont quittés en avril. Comment savaient-ils où se rendre ?"

Et pour rester dans la même ambiance, ou presque... (Cliquez donc !)

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